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DOSSIERS - AFFAIRES JUDICIAIRES

LIBERER MUMIA : LA FACE CACHEE D'UNE CAMPAGNE

  Le 4 octobre 2003, au cours d'une cérémonie à l'Hôtel de Ville de Paris, Bertrand Delanoë a solennellement déclaré Mumia Abu-Jamal, ex-Wesley Cook, citoyen d'honneur de la capitale. Depuis 23 ans, ce journaliste afro-américain est en prison pour le meurtre d'un policier ; depuis 10 ans, l'extrême gauche nous affirme qu'il est innocent, qu'il a été condamné en tant que noir et en tant que militant politique. Qu'en est-il exactement ?

Philadelphie, Pennsylvanie. 9 décembre 1981, 4 heures du matin. Ancien reporter radio réputé et président de l'association des journalistes noirs de la ville devenu chauffeur de taxi, Mumia Abu-Jamal aperçoit Daniel Faulkner, jeune policier de 25 ans, contrôlant son frère William Cook interpellé pour avoir pris une rue à contre sens. Il gare son véhicule, en sort, se dirige vers Faulkner… une fusillade éclate : le policier est tué- une balle dans le dos, une autre dans la tête- Mumia grièvement blessé d'une balle dans l'estomac. Transporté aux urgences, il est accusé du meurtre de Faulkner, jugé entre le 7 juin et le 3 juillet 1982 et condamné à mort.

Si Marie-Agnès Combesque consacre un article au condamné dans Politis en juillet 1992 (auquel il réagira par courrier- reproduit dans le N° de mai 1993) c'est le 29 juin 1995 que le MRAP lance la grande campagne en sa faveur, le gouverneur de Pennsylvanie Tom Ridge ayant signé le 1 er juin l'ordre d'exécution- prévue pour le 17 août. Le 8 juillet parait dans Le Monde la pétition VIE SAUVE POUR MUMIA ABU-JAMAL signée par plus de 180 personnalités : on apprend ainsi que le reporter a été victime « d'un procès expéditif », d'une « véritable machination », qu'il est « la cible de complots et de manœuvres visant à l'éliminer ».

Conférences, concerts- entre autres, au Forum Social Européen 2003- manifestations- tous les mercredis entre 18h et 20h place de la Concorde- pétitions, T-shirts, autocollants : Mumia est vite devenu un symbole, celui de l'arbitraire d'une justice américaine raciste et politique- certains en font même une victime du capitalisme et de l'impérialisme. « Libérez Mumia ! » constitue un cri de ralliement pour l'extrême gauche française : un Collectif Unitaire de Soutien a été crée, rassemblant 80 organisations dont les Verts, le PCF, la LCR, LO et le MRAP.
Pourtant, le journaliste est toujours en prison. La Cour Suprême de Pennsylvanie a le 8 octobre 2003 estimé que son innocence est « hors sujet ». Et nombreux sont ceux qui, outre-Atlantique, croient en sa culpabilité, même chez les abolitionnistes- exemple : le cinéaste Michael Moore.

L'argumentation des Mumiacs (terme anglo-saxon) mérite que l'on s'y attarde.

Mumia Abu-Jamal n'a cessé de clamer son innocence, nous dit-on. Or, voilà ce que notre homme aurait déclaré après la fusillade du 9 décembre 1981 qui a abouti à la mort de l'officier Daniel Faulkner : « J'ai flingué ce fils de pute et j'espère que ce fils de pute va clamser. Je suis content. Si vous me relâchez, je vous flinguerai tous, les flics ! »

Ces propos ont été entendus, et consignés par écrit par Mme Priscilla Durham, agent de sécurité de l'hôpital Jefferson (ou Mumia avait été transporté) ; ils figurent également dans le rapport de police des officiers de police Gary Bell et Gary Wakshul du 9 février 1982.

On nous dit aussi que Daniel Faulkner a été tué par des balles de calibre 44, alors que Mumia Abu-Jamal possédait un calibre 38. Les défenseurs de Mumia s'appuient sur une note manuscrite du docteur Paul Hoyer, mais il s'agit d'une impression « à chaud », faite avant l'autopsie ; les expertises balistiques officielles ont conclu que Faulkner a bien été tué par un calibre 38. On nous assure que le journaliste a été victime d'un procès raciste. A l'appui, deux éléments : le juge Albert Sabo, ancien shérif adjoint de Philadelphie, était comme le policier décédé membre du syndicat Fraternal Order of Police (FOP) syndicat lui aussi raciste nous est-t-il précisé. Ensuite, la composition du jury : sur ce point, ils ont du mal à se mettre d'accord, pour certains il n' y avait aucun noir dans le jury, pour d'autres, il n' y en avait qu'un. En fait, ils étaient deux : preuve de discrimination raciale ?

Ce qui est passé sous silence, c'est que le juge n'était plus membre du FOP depuis 1974, soit huit ans avant le procès ; par ailleurs, laisser entendre que la victime était raciste donne quelque peu l'impression de vouloir minimiser sa mort. On oublie également qu'aux Etats-Unis une condamnation à mort suppose l'unanimité du jury- donc, les deux jurés afro-américains ont voté en faveur de la peine capitale.

Il nous est soutenu également que Mumia a été condamné en tant que membre du MOVE –abrégé de Movement- et surtout en tant qu'ex-Panthère noire- il le fut de 1968 à 1972. Ses supporters demeurent discrets sur l'idéologie de ces deux organisations. Le groupe gauchiste afro-américain appelé Black Panther Party a été fondé le 15 octobre 1966 à Oakland, Californie. Sa devise, empruntée au Petit Livre rouge de Mao :
« Nous sommes pour l'abolition des guerres ; la guerre, nous ne la voulons pas. Mais on ne peut abolir la guerre que par la guerre. Pour qu'il n' y ait plus de fusils, il faut prendre le fusil. »
Son objectif : répondre par les armes à la violence réelle ou supposée des policiers- généralement qualifiés de « cochons racistes ».
Son modèle : le Front de Libération ( sic ) du Vietnam.

Concernant le MOVE
, nous pouvons nous reporter aux propos de son fondateur, John Africa ex-Vincent Leaphart :
« Les flics sont des malades, les juges des marchands d'esclaves et les avocats ne valent pas mieux que les juges »
De fait, le MOVE a été impliqué dans plusieurs affrontements armés avec la police entre mai 1977 et août 1978 en Pennsylvanie, provoquant la mort d'un policier.

S'ajoute à cela que l'intéressé a proclamé bien haut ses opinions lors de son procès- réclamant avec force d'être représenté par John Africa ; mais également dans ses écrits, parus en France sous les titres   En direct du couloir de la mort   et   Condamné au silence (La Découverte, 1996 et 2001) qui relèvent plus de la profession de foi marxiste et du réquisitoire antiaméricain que du plaidoyer portant sur les faits qu'on lui reproche. (1)

« Le véritable assassin s'est révélé il y a deux, trois ans, c'est un homme blanc » : c'est ce que nous ont affirmés des manifestants rencontrés à la Concorde le 5 novembre 2003. C'est là l'argument définitif des Mumiacs , et effectivement, le 8 juin 1999, Arnold Beverly a confessé avoir tué Faulkner pour le compte de la pègre locale- mafieux et « ripoux » de Philadelphie.

Sans doute n'ont-ils pas bien lu cette confession : Beverly nous dit que « Faulkner a reçu des blessures par balles dans le dos et dans le visage avant l'arrivée de Jamal sur les lieux » ; or, il a toujours été déclaré que Mumia était présent avant que Faulkner ne se fasse tirer dessus, pour secourir son frère parait-il brutalisé par le policier ; William, le frère, n'est évoqué nulle part dans la confession, Beverly soutenant que « Faulkner était seul ». Point étonnant dès lors, que les défenseurs de la mémoire de Faulkner aient qualifié ce récit d' « histoire tout droit sortie d'un épisode de La Quatrième Dimension  » et que Dan Williams, avocat du condamné en 1999, n'ai pas souhaité l'utiliser comme élément à décharge.

En résumé, l'argumentation de ces gens est symétrique à celle qu'ils attribuent à la justice américaine : noir et gauchiste, Mumia Abu-Jamal est de facto un innocent.
« Cela fait huit ans que l'on vient ici [place de la Concorde], ce n'est pas pour rien. » : ce que nous ont dit les manifestants évoqués plus haut. De fait, l'examen des preuves de son innocence s'avérant insatisfaisant, il est peu probable que Mumia Abu-Jamal soit libéré un jour…

Ramer à contre-courant sur cette affaire déplait à certains, c'est une évidence. Le 27 avril 2004, nous faisons paraître en guise de tribune libre dans France Soir une version abrégée de notre contre argumentation, sous le titre : « Faut-il libérer Mumia ? » Le 2 juillet, dans la même rubrique (« La tribune libre ») le quotidien publie un texte de Jacky Ortaut, membre de la CGT et du Collectif unitaire national de soutien à Mumia Abu-Jamal : « Oui, Mumia Abu-Jamal est innocent ! »

Pas de réfutation véritable, mais des arguments péremptoires tels que : « Faut-il libérer Mumia ? Comment en douter ? (…) Comment affirmer que « rien ne prouve que la justice américaine se soit trompée » le 3 juillet 1982 alors que la communauté internationale (d'Amnesty International à la Commission des droits de l'homme de l'ONU en passant par le Parlement Européen) dénonce l'iniquité du procès ? Expertises bâclées, preuves fabriquées, témoins menacés et/ ou subornés sinon écartés, ces faits sont maintenant connus de tous ceux qui suivent le dossier » Le Parlement Européen, passe encore, mais il nous est difficile de considérer Amnesty International (qui a longtemps fait preuve d'une extrême complaisance pour les dictatures communistes) (2) et la Commission des droits de l'homme de l'ONU (dirigée successivement ces dernières années par Cuba et la Libye) comme des références morales ; quand à la thèse du procès truqué, nous aimerions que Mr Ortaut soit un peu plus précis, et qu'il tente clairement de nous répondre.

Passons sur le panégyrique de son idole (« Dénonciateur inlassable des violences économiques et policières » et « du racisme institutionnel ») et arrêtons-nous sur la conclusion : « Quatre-vingt organisations, mais aussi Paris et une vingtaine d'autres villes françaises qui ont élevé cet homme au rang de citoyen d'honneur, sont porteuses de ce combat dans cette affaire qui accuse la justice américaine. » C'est mathématique : si la majorité des mouvements d'extrême gauche de notre pays et un certain nombre de municipalités disent que Mumia est innocent, c'est qu'il est innocent. Point. Qu'importe l'injure caractérisée faite à la mémoire de l'officier Daniel Faulkner- un point de détail, sans doute.

Mais le lecteur aurait tort de penser que la libération du Cop Killer (expression américaine pour désigner les tueurs de flics) est le seul objectif de M. Ortaut ; non : il s'agit aussi de lutter contre la peine de mort, « ce crime d'Etat légalisé », dont « [l'] abolition constitue un critère universel de civilisation et d'émancipation, rompant avec des pratiques millénaires où l'arbitraire et la barbarie faisaient loi » Pourquoi pas, bien sûr… mais l'auteur omet de préciser une chose : c'est sur le site Web Cuba Solidarity Project, un site pro castriste, qu'il a signalé l'existence de notre tribune libre dans un courriel du 28 avril 2004:

«  Sachez aussi que le quotidien France Soir a offert une tribune libre dans son édition du 27 avril à Frédéric Chataigner (doctorant en histoire) pour s'en prendre aux "MUMIACS" et voler au secours de la justice américaine sous le titre " Faut-il libérer Mumia? ". Bien évidemment, nous reviendrons sur cet article mais d'ores et déjà nous interpellons France Soir pour solliciter un droit de réponse. »

Pour mémoire, voici le pedigree de Fidel Castro : 21 000 fusillés, des centaines d'assassinats extra-judiciaires, 150 000 morts en mer en essayant de fuir le régime (chiffres du Collectif Solidarité Cuba Libre dirigé par Laurent Muller) Bref, on peut à la fois se prononcer contre la peine de mort et soutenir un régime criminel. Logique, parfaitement logique…

La lecture de cette prose nous amène à cette conclusion : le meurtrier Mumia Abu-Jamal a vraiment les soutiens qu'il mérite.

NOTES :

(1) Extrait de En direct du couloir de la mort concernant les Etats-Unis : « la plus violente nation de la Terre, héritière du génocide des Amérindiens et des Africains, seule nation qui a largué des bombes atomiques sur des populations civiles, le plus grand marchand d'armes du monde, le pays qui a arrosé de napalm dix millions de vietnamiens (afin de les « sauver » du communisme) le roi de l'enfermement » (p.150) Dans ce même ouvrage, Mumia Abu-Jamal rend hommage au leader révolutionnaire noir Malcom X (p.149-152) dont il tait le racisme et l'antisémitisme, et prend la défense du gourou de la secte des Davidiens, David Koresh (p.153-155). Que la version officielle des autorités américaines sur le drame de Waco survenu au printemps 1993 laisse à désirer est exact : de là à défendre un détraqué doublé d'un pédophile, il y a un pas qu'il nous est impossible de franchir. Une telle lecture ne semble guère avoir alarmé les défenseurs de Mumia Abu-Jamal.

(2) Sur Amnesty International, nous ne saurions trop conseiller la lecture de Cinq continents accusent Amnesty International rassemblant les textes de Hugues Keraly, Alain Sanders, Jean Nerle et Francis Bergeron (Grez-en-Bouère, Dominique Martin Morin, 1982) et Itinéraire d'un chrétien progressiste de Francis Bergeron (même éditeur, 1988) qui retrace le parcours de Jean-François Lambert, ancien président de la section française de l'organisation qui, depuis, a fait son mea-culpa. Mumia Abu-Jamal n'est pas le premier criminel afro-américain défendu par Amnesty- exemple : « les Dix de Wilmington », neuf noirs et une jeune femme blanche condamnés à un total de 282 années de prison en septembre 1972 pour l'incendie d'une épicerie lors des émeutes raciales de Wilmington de 1971. Pour Amnesty, leur crime ne pouvait faire oublier leur passé au service de la cause antiraciste. Si c'était agi de membres de Ku Klux Klan, le discours aurait été tout autre !