Désinformation, Histoire, Actualité

  Sommaire

Accueil
Nouveautés
Actualités
Méthodes et Exemples
Dossiers
Histoire
Documents






DOSSIER KOSOVO - BILAN - EPURATION ETHNIQUE -

LE FIGARO MAGAZINE
Samedi 27 septembre 2003

Kosovo : la terrible agonie des Serbes
Ici, les violences antiserbes se multiplient. L'ONU, qui administre la province depuis 1999, se montre incapable d'empêcher ces exactions. C'est une victoire pour les extrémistes albanais qui rêvent d'une "purification ethnique" dans les enclaves serbes, où les habitants vivent - et meurent - tels des condamnés.
De nos envoyés spéciaux Jean-Louis Tremblais (texte) et Noël Quidu (photos)
Tous les samedis, Senka Jovovic (au second plan) vient honorer la mémoire de son fils. Le 13 août. dans l'enclave serbe de Gorazdevac, Ivan, 19 ans, a été abattu par des tireurs embusqués alors qu'il se baignait dans une rivière. L'attentat n'a pas été revendiqué, mais il est attribué aux terroristes albanais.
/Tous les samedis, Senka Jovovic (au second plan) vient honorer la mémoire de son fils. Le 13 août. dans l'enclave serbe de Gorazdevac, Ivan, 19 ans, a été abattu par des tireurs embusqués alors qu'il se baignait dans une rivière. L'attentat n'a pas été revendiqué, mais il est attribué aux terroristes albanais.

Samedi 13 septembre. Il pleut sur Gorazdevac petit bourg du Kosovo occidental. Le ciel est plombé, le sol boueux, les rues désertes. A l'entrée de la localité, des soldats italiens de la Kfor (la force multinationale de l'Otan) contrôlent les allées et venues. Car Gorazdevac est ce que l'on appelle une « enclave », c'est-à-dire un îlot serbe dans un océan albanais. Depuis 1999 et l'intervention de l'ONU, ses habitants (un millier de paysans serbes) y survivent misérablement, plus ou moins protégés de leurs ennemis héréditaires, les Albanais, par les troupes de la Kfor.

Toute sortie serait un suicide , raconte le maire Dejan Jovanovic. Nos plaques d'immatriculation datent de Milosevic et sont aisément reconnaissables par les Albanais qui, eux, en possèdent de nouvelles. Alors, deux fois par semaine, les Italiens nous fournissent une escorte pour aller faire les courses à Mitrovica-Nord (NDLR : agglomération située au nord du Kosovo et où subsiste une importante communauté serbe) On roule de nuit afin d'éviter les caillassages. C'est notre seul contact avec 1'extérieur. Sinon, notre univers se résume àt un carré de deux kilomètres sur deux.
Mais ces précautions n'ont pas pu empêcher le drame qui s'est produit il y a tout juste un mois.

Les jeunes tirés comme des lapins

- C'était le 13 août, poursuit Dejan, il faisait chaud. Les enfants se baignaient dans la rivière, à côté de la décharge, le seul endroit où trouver un peu de fraîcheur. Vers 14 h 30. on a entendu plusieurs rafales. Les tireurs étaient embusqués sur l'autre rive, à moins de 30 mètres. Comme à la chasse au lapin. Après coup on a retrouvé 70 douilles ! Deux jeunes ont été tués: Panto Daki,13 ans, Ivan Jovovic, 19 ans. Quatre autres ont été blessés : Bogdan Bukumiric, l6 ans, actuellement soigné à Belgrade pour une balle dans le cerveau, Dragana Srbljak, 14 ans, touchée au pied, Djordje Ugrenovic, 21 ans, atteint au coude, et et Marko Bojicevic, 11 ans, blessé à la hanche. Le bilan aurait pu être encore plus lourd : il y avait 88 gosses sur place, dont des bébés...

Allongée sur son divan, le pied convalescent, Dragana la rescapée se souvient

- On a cru à des pétards. Une balle m'a traversé le pied, je suis tombée par terre. Ivan est mort sous mes yeux. C'est papa qui m'a emmenée à l'hôpital de Pec (NDLR : la ville la plus proche, exclusivement peuplée d'Albanais). Nous étions escortés par des soldats italiens. En nous voyant passer, les Albanais dansaient et gueulaient : « C'est bien fait pour vous ! »

L'une des voitures est tombée en panne. Ils ont cassé les vitres, sorti et frappé les blessés. Après, ils ont voulu mettre le feu à la voiture. Les militaires de la Kfor sont intervenus, juste à temps. Le cauchemar n'était pas fini : quand je suis arrivée à l'hôpital, un médecin albanais a regardé mon pied qui saignait Il l'a plâtré en me disant que je pouvais rentrer chez moi. Une blessure par balle, vous imaginez ? A l'intérieur du plâtre, ça saignait toujours, évidemment. Il a fallu aller m'opérer à Mitrovica-Nord, à l'hôpital serbe. Quatre-vingts kilomètres de route...

Dragana Srbljak, 14 ans, est une miraculée. Cette jeune Serbe a reçu une balle dans le pied lors de l'attaque de Gorazdevac. « Je croyais que c'était des pétards, raconte-t-elle. En fait, c'était une kalachnikov. »

Dragana Srbljak, 14 ans, est une miraculée. Cette jeune Serbe a reçu une balle dans le pied lors de l'attaque de Gorazdevac. « Je croyais que c'était des pétards, raconte-t-elle. En fait, c'était une kalachnikov. » Les tireurs courent toujours...

Gorazdevac la martyre n'en finit pas de panser ses plaies. Comme tous les samedis, à 16 heures, un lugubre cortège (femmes en fichu noir et hommes au dos voûté) traverse la fantomatique bourgade. Des sanglots annoncent la procession. Ce sont Milos et Senka, les parents d'Ivan, accompagnés de leurs proches, qui viennent se recueillir au cimetière. Sur la tombe, la mère s'effondre en contemplant le portrait du fils. Cris, lamentations, imprécations. Elle pleure son enfant, évoque le mariage qu'elle imaginait pour lui, et égrène les souvenirs d'antan: «Ivan, tu étais beau Ivan, tu étais bon !» Dans la campagne alentour, on entend des coups de feu.
- C'est les schiptars (NDLR : nom que se donnent eux-mêmes les Albanais, mais repris péjorativement par les Serbes), commente le désabusé Dejan Jovanovic. Ils savent que la mère d'Ivan vient honorer son petit tous les samedis. Ils veulent la provoquer, jouer avec ses nerfs, jusqu'au bout.

  Pour être exemplaire, le cas de Gorazdevac n'est pas isolé, hélas. La minorité serbe du Kosovo (moins de 100 000 personnes sur 2 millions d'habitants, tous Albanais si l'on fait exception d'une poignée de Roms et de Bosniaques, eux aussi persécutés) a vécu un été meurtrier. Le 4 juin, à Obilic, la famille Stolic (deux vieillards et leur fils de 55 ans) est battue à mort et sa maison incendiée. Le 31 août, à Cernica, un attentat à la grenade tue Miovir Savic, un instituteur de 35 ans, et blesse quatre autres civils. A Belgrade, le Centre de coordination pour le Kosovo tient les comptes. Selon Vladimir Bozovic, numéro deux de cet organisme gouvernemental (même si la résolution 1244 de l'ONU prévoit une « autonomie substantielle », le Kosovo fait toujours partie de la Serbie-Monténégro), « 1 026 Serbes ont été tués, 1233 blessés et 987 kidnappés » depuis 1999.

- Les récents attentats obéissent à une logique , explique Vladimir Bozovic. En s'en prenant à des malheureux sans défense (enfants, vieillards), les terroristes albanais vendent pousser notre peuple à partir. Et l'empêcher de revenir, comme le prévoit pourtant la résolution 1244.

Même si ces actes ne sont jamais revendiqués, on devine la griffe de l'AKSH ou ANA (Armée nationale albanaise), structure clandestine ayant succédé à l'UCK (Armée de libération du Kosovo). Liée à la mafia locale, cette entité terroriste, qui mélange allègrement marxisme-léninisme, xénophobie et gangstérisme, a un programme simple : réunir tous les Albanais des Balkans (au Kosovo comme en Macédoine) dans une seule nation. Ce qui passe par l'expulsion des « Scbkis » (c'est ainsi que les Albanais appellent les Serbes avec mépris). Un objectif en train de se réaliser. Depuis l'installation de la Minuk (Mission des Nations unies au Kosovo), 250 000 Serbes ont quitté les lieux. Pendant la même période, 800 000 Albanais sont revenus, la plupart d'entre eux s'accaparant les maisons et les terres de leurs ex-voisins serbes.

Destruction des églises serbes

Responsable du HPD (House and Proper, Directorate, un programme de l'ONU), Richard de La Falaise, est justement chargé de régler ces litiges fonciers
- Nous avons été saisis de 28 000 dossiers. Dans 96 % des cas, il s'agissait de Serbes ayant fui après 1999 et dont les appartements ou les maisons étaient occupés illégalement par des Albanais.
Dès que le HPD a statué sur leur cas et qu'ils récupèrent leur titre de propriété, ils vendent. Notamment à Pristina, où ils étaient 40 000 avant 1999 et moins de 200 aujourd'hui. A 1 000 euros le mètre carré, ils peuvent se refaire une vie à peu près décente en Serbie. On comprend mieux pourquoi le retour des Serbes, annoncé avec fracas par la Minuk pour 2003, reste un voeu pieu : au cours des six premiers mois de l'année, ils sont 634 à avoir franchi le pas (et 4 115 seulement depuis 1999) !

Dans son monastère de Gracanica, autre enclave serbe proche de Pristina, Mgr Artemje, archevêque du Kosovo, lance pour la énième fois son SOS

- C'est un nettoyage ethnique. Les Serbes sont des citoyens de seconde zone, privés des droits essentiels : la sécurité, la liberté de circuler, le droit de travailler (pas de place pour nous dans la nouvelle administration et impossibilité de cultiver nos terres confisquée, l'accès aux soins (tous les hôpitaux sont albanais, sauf celui de Mitrovica-Nord), l'éducation des jeunes. Actuellement, dans l'est du Kosovo, 12 000 enfants n'ont pas repris l'école parce que la Kfor refuse de protéger les bus scolaires. Dès qu'on met le nez hors des enclaves, c'est l'assurance d'être menacé, insulté, molesté, voire assassiné. Même quand on ne sort pas, ils viennent nous provoquer. Par ailleurs, ils s'en prennent à l'âme de notre peuple: la religion orthodoxe et le patrimoine culturel. Il s'agit de rayer de la carte,les siècles d'histoire. Depuis 1999, 115 églises ou monastères (dont certains bijoux médiévaux) ont été dynamités ou incendiés. Les lieux de culte demeurant en secteur albanais sont protégés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme à Mitrovica-Sud, ou une section de militaires grecs campe autour de l'église Saint-Sava. Pourquoi les médias ne s'indignent--ils pas ? Pourquoi la Minuk ne punit-elle pas les coupables ? Pourquoi la Kfor réduit-elle son dispositif ?

Borislav Kevkic est le prêtre de l'église orthodoxe Saint-Sava, à Mitrovica-Sud, dernier bastion serbe en secteur albanais. « Si je pars, les soldats s'en iront, explique-t-il. Et les Albanais construiront une mosquée à la place. » Tous les dimanches, il sonne les cloches « pour le principe ».

La réponse à ces questions, on ne la trouve jamais dans les discours officiels. Sous couvert d'anonymat, un haut fonctionnaire de la Minuk accepte néanmoins de nous livrer quelques clés :

- Le protectorat de l'ONU est un échec, mais personne n'ose l'avouer. On n'a jamais arrêté et condamné un seul Albanais coupable de crime ethnique. D'abord, pour des raisons politiques : en 1999, les gentils étaient les Albanais, et les méchants les Serbes. Le triomphe du politiquement correct. Les Albanais ont un sentiment d'impunité; les Serbes un sentiment d'injustice. Ensuite, pour des raisons techniques : la KPS (service de police du Kosovo, 5 000 policiers) est essentiellement constituée d'Albanais - souvent des anciens de l'UCK-, ce qui vous donne une idée de sa partialité quand il s agit de résoudre un problème interethnique. Quant à la police de la Minuk, c'est la Tour de Babel: 4 000.hommes, de toutes nationalités (y compris les plus exotiques). Quand lis arrivent, ils ne connaissent rien, ils ne restent que six mois. Ce qui les intéresse, c'est la solde: entre 5 000 et 10 000 dollars mensuels (net d'impôts), selon lesptays d'origine. Imaginez un Zimbabwéen, ou un Malaisien qui débarque ici, c'est le jackpot. Pourquoi se décarcasser ? J'irais plus loin : est-ce que tous ces expatriés n'ont pas intérêt à ce que le chaos perdure ?

Mitrovica est une ville divisée : au sud de la rivière Ibar, les Albanais ; au nord, les Serbes. A Mitrovica-Sud, il ne reste plus que 8 Serbes pour 90 000 Albanais. Les irréductibles sont retranchés autour de l'église Saint-Sava, transformée en Fort Alamo, et sont surveillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par des soldats grecs de la Kfor.

Argent sale et trafics juteux

  D'où l'absurdité de la situation : sous l'impulsion de l'ancien administrateur de l'ONU au Kosovo, l'Allemand Michael Steiner (remplacé par le Finlandais Harri Holkeri au mois d'août), les mesures sécuritaires de la Kfor ont été allégées. Le fonctionnaire précité commente :

- C'est la méthode Coué : on veut se persuader que ça va mieux. On supprime l'effet en espérant que ça va supprimer la cause. C'est ainsi que la protection des bus scolaires a disparu, Résultat : les gosses serbes ne vont plus à l'école.

Quant à la police de la Minuk, surnommée « police Benetton » (en raison de ses équipages bigarrés) ou« police Coca-Cola » (â cause de ses 4 x 4 rouge et blanc), elle fait rire tout le monde (sauf les Serbes). Pendant qu'elle traque les stationnements illégaux et les excès de vitesse avec un zèle dont nous pouvons témoigner, les gros truands et les petites frappes paradent dans les rues de Pristina. Devant le siège de la Minuk, des Albanais douteux vendent des CD piratés et autres marchandises contrefaites. Au bar du Grand Hôtel, les patrons mafieux vaquent à leurs sordides magouilles(traite des blanches et trafic d'héroïne) pendant que leurs hommes de main veillent sur la Mercedes blindée. Connu pour son parc automobile (une concentration impressionnante de grosses cylindrées allemandes, immatriculées en Suisse ou en Allemagne !) et ses bordels à Moldaves, le Kosovo l'est aussi pour ses stations-serviceflambant neuves, investissement idéal pour blanchir l'argent sale. Ou pour ses maisons cossues que l'on voit pousser sur le bord des routes. Zone grise par excellence, plaque tournante de la délinquance européenne, le Kosovo ne manque pas d'argent.
Pourtant, l'Union européenne, que l'on a vu plus regardante en matière de droits de l'homme, de protection des minorités ou de criminalité organisée, l'arrose généreusement : 1,9 milliard d'euros versés depuis 1999 ! Et Chris Patten, commissaire européen aux relations extérieures, vient de le réaffirmer lors d'une visite à Pristina, le11 septembre : « Indépendamment de ce que sera son statut, l'avenir du Kosovo est en Europe . » Avant ou après la purification ethnique ? Avec ou sans les Serbes?

Jean-Louis Tremblais

 

Retour vers l'index Kosovo