Désinformation, Histoire, Actualité

  Sommaire

Accueil
Nouveautés
Actualités
Méthodes et Exemples
Dossiers
Histoire
Documents






METHODES ET EXEMPLES  -  THEORIES - III Revue d'analyses diverses - Index

III.2 - Action et guerre psychologique - Claude Rainaudi

"Les professionnels de l'Action psychologique." dans Monteil, J.-M. et Beauvois, J.-L. (2001). Des compétences pour l'application. Volume 5 de l'encyclopédie La Psychologie sociale, dirigée par Jean-Léon Beauvois. Presses Universitaires de Grenoble. pp. 317-330.

Introduction : Utilisée de tout temps, l'Action psychologique (AP) a surtout été formalisée par les hommes de guerre et de marquétique. Je me propose, après en avoir défini le champ, d'exposer les concepts qui me semblent le plus faciliter sa compréhension, puis d'illustrer d'exemples concrets les liens qu'elle entretient avec la psychologie sociale et, plus généralement, les sciences sociales.

De quoi s'agit-il ?

La pratique de l'Action psychologique remonte vraisemblablement aux origines de l'humanité : les tribus primitives, lorsqu'elles préparent la guerre observent des rituels qui mobilisent le courage des guerriers et, face à l'ennemi, essayent de le terroriser (cris menaçants, exposition des armes, usage d'instruments bruyants…) dans le but de vaincre sans combat ou de limiter l'importance de celui-ci. La conscience de cette pratique s'est manifestée très tôt : Sun Zu y faisait allusion (tr. fr. 1971, p. 155) ; Frontin en donne des exemples dans ses Stratagèmes (tr. fr. 1999, par exemple Livre 1, chap. 8 ou Livre II, chap. 7) ; plus récemment, Napoléon affirmait que " les forces morales sont aux forces physiques dans le rapport de trois à un ".

Cependant, le développement d'une véritable doctrine militaire de l'AP, la constitution de corps spécifiques destinés à sa mise en œuvre, la mise en place de formations à son emploi et d'organismes de recherche dédiés à son étude paraît remonter à la première Guerre mondiale. Il semble qu'il y ait eu, durant l'entre-deux-guerres, une certaine désaffection de l'outil.
Durant la seconde Guerre mondiale, Britanniques, Allemands et Étasuniens développèrent des systèmes d'action psychologique. L'un des principaux acteurs de cette période en a fait un récit très vivant (Delmer, 1965). En ce qui concerne les États-Unis d'Amérique, on sait que ce système sera puissamment renforcé après la guerre : dans les années 50, un milliard de dollars de crédits est annuellement affecté au développement de l'arme psychologique. La définition donnée de la Guerre psychologique (psychological warfare), dans les manuels étasuniens est alors :

" La Guerre psychologique utilise tous les moyens psychiques (moral) et physiques qui visent à :
détruire la volonté et la capacité de combat de l'ennemi ;
le priver de l'appui de ses alliés et des neutres ;
accroître, parmi nos troupes et chez nos alliés la volonté de vaincre.

La Guerre psychologique utilise toutes les armes possibles pour influencer l'esprit des ennemis. Les armes ne sont psychologiques que par l'effet qu'elles produisent et non du fait de leur nature propre. Sous cet éclairage, les propagandes ouverte (blanche), couverte (noire) et grise ; la subversion ; le sabotage ; les opérations spéciales ; les actions de guérilla ; l'espionnage ; les pressions (pressure) politiques, culturelles, économiques et raciales sont des exemples d'armes efficaces (effective). Elles sont efficaces parce qu'elles produisent discorde, méfiance, frayeur et désespoir dans le cœur des ennemis... "

Ce texte de 1948, cité par Christopher Simpson (1994, p. 12) serait, d'après cet auteur, resté secret jusqu'au début des années 80. Un exemple de mise en œuvre de cette conception de l'AP comme moyen de guerre dans un conflit ouvert fut conçu par Edward G. Lansdale, alors cadre de la CIA : ayant appris que les Huks des Philippines croyaient à l'Asuang, équivalent local de nos vampires, il décida d'exploiter cette croyance. Ses équipes, lors d'embuscades de nuit, extrayaient furtivement le serre-file des patrouilles indépendantistes. La victime était garrottée, les hommes de l'escouade psychologique lui perçaient alors deux trous dans le cou, le maintenaient par les pieds, tête en bas, puis jetaient le corps sur la piste. Lorsque les guérilleros revenaient chercher leur compagnon, ils le trouvaient saigné à blanc, un masque de terreur sur le visage. Des unités entières furent dispersées, avec une rare économie de moyens, sinon une grande élégance.

Depuis lors, cette doctrine s'est enrichie.
Voici la définition des Opérations psychologiques donnée dans JP3-53, Doctrine for joint psychological operations (1996, p. V) :

" Les opérations psychologiques (PSYOP) sont des opérations prévues pour acheminer des informations choisies (selected) et des indicateurs vers les audiences étrangères afin d'influencer leurs émotions, leurs mobiles, leur raisonnement objectif et, finalement (ultimately), le comportement des gouvernements, organisations, groupes et individus étrangers. Les PSYOP sont une composante vitale de l'éventail (broad range) des activités politiques, militaires, économiques et informationnelles des États-Unis. Il existe quatre catégories de PSYOP militaires : les PSYOP stratégiques, opératives, tactiques et de consolidation, qui sont utilisées pour implanter et renforcer des perceptions du pouvoir militaire, politique et économique des États-Unis chez les étrangers... "

Nous constatons qu'il n'y est plus question de guerre, d'ennemis, de neutres ni d'alliés, mais d'une action permanente visant les " audiences étrangères ". Cet élargissement de la Guerre psychologique à l'AP - élargissement, car la nouvelle définition inclut l'ancienne comme cas particulier - va de pair avec un accroissement de l'importance qui lui est donnée par l'armée des États-Unis d'Amérique : le général R. W. Potter déclarait à l'Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (Raevsky, 1996, p. 8) qu'en ce qui le concerne, " il n'envisagerait même pas l'idée d'une opération [militaire] sans une préparation psychologique de la zone d'intervention (mission area) ou sans un appui psychologique (PSYOP support) ". Si cet officier général considère que les PSYOP sont indispensables aux niveaux opératif et tactique, les politiciens, quant à eux, lui accordent tout autant d'importance au niveau stratégique, principalement en ce qui concerne la gestion des opinions publiques. La préparation et l'accompagnement des récentes opérations menées en Irak ou en Yougoslavie en attestent. Par ailleurs, les multinationales emploient l'AP dans leurs guerres économiques et l'on peut supposer que les maffias s'y mettront bientôt, si ce n'est fait.

Étudier ce champ me paraît donc du plus grand intérêt. Voici maintenant quelques concepts que je considère comme particulièrement utiles à son approche...

http://rainaudi.com/publications.html