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III.3 - La désinformation arme de guerre,
l'information instrument de paix
Guy METTAN,
journaliste, président exécutif du Club suisse de la presse
http://www.unesco.org/cpp/uk/news/mettan.htm
The ideas and opinions expressed in this document are those of the author and do not necessarily represent the views of UNESCO/
Les idées et les opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de l'UNESCO
Comment envisager une « Culture de paix et un dialogue entre les civilisation au troisième millénaire » alors qu'une guerre de grande envergure entre plus de vingt pays vient d'éclater? Le sujet de notre forum est donc d'une brûlante actualité. L'une des conditions essentielles pour prévenir les conflits et rétablir la paix est la vérité dans l'information. Or la plupart des guerres donnent lieu non seulement à des propagandes exacerbées mais aussi à de véritables politiques de désinformation qu'il convient de démonter pièce par pièce. L'exemple de la nouvelle guerre des Balkans est très éclairant à ce propos.
Mais aujourd'hui, on a si peur des médias, on soigne si fort son image qu'on n'ose plus les critiquer. En ma qualité de journaliste, d'ancien rédacteur en chef et de président d'un club national de presse, je n'ai pas ces craintes et cela ne me gêne pas de relever les graves défauts de l'industrie de l'information contemporaine.
Après quelques semaines d'intenses bombardements, on constate en effet que l'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie dégénère en une vraie guerre psychologique menée auprès de l'opinion internationale afin de la gagner à la cause du bellicisme.
En clair: le fait nouveau de ce conflit, outre les essais de nouvelles armes de mort, est la campagne de désinformation à l'échelle planétaire menée par les Etats-Unis et l'OTAN par médias interposés. A quoi reconnaît-on la désinformation? Comment se distingue-t-elle de la simple propagande?
L'écrivain français d'origine russe Vladimir Volkoff, qui en est déjà à son deuxième livre sur la question, a d'abord constaté que, de phénomène réservé au bloc communiste, la «manipulation politique des opinions publiques à des fins politiques par des moyens masqués» est désormais devenue une spécialité capitaliste, relayée par l'image TV plutôt que la presse écrite et qui passe par le canal d'agences de relations publiques dûment stipendiées.
Une campagne de désinformation se repère par les symptômes suivants:
- le panurgisme médiatique (tout le monde dit la même chose, la presse et les politiciens de gauche comme les journaux et les politiciens de droite et réciproquement). Par mimétisme et peur de prendre une position différente de la majorité, politiciens et médias finissent tous par réciter la même chanson;
- une surinformation délirante à propos d'un aspect de la réalité et une sous-information systématique du camp opposé (les colonnes de réfugiés filmées jusqu'à la nausée, les mêmes maisons kosovares en train de brûler diffusées pendant trois jours, alors que les dizaines de milliers de réfugiés serbes et les effets des bombardements sur la population serbe ne semblent pas exister);
- une manichéisme extrême (tous les bons sont d'un côté, tous les méchants de l'autre);
- une psychose collective qui vampirise la population (le désinformé défend son point de vue avec une conviction d'autant plus grande qu'il est généralement de bonne foi et contamine ses proches qui se transforment aussitôt en propagateurs du nouveau credo).
- une manipulation systématique du vocabulaire. Prenez l'expression purification ethnique, introduite pendant la guerre de Bosnie pour stigmatiser les Serbes. C'est un mensonge évident pour qui connaît la Bosnie: Serbes, Bosniaques et Croates ne forment qu'une seule et même ethnie et parlent la même langue. Seules les religions et les cultures diffèrent. Mais voilà: aurait-on suscité la même horreur en Occident si l'on avait parlé d'épuration religieuse ou d'épuration culturelle? Aurait-on provoqué l'écoeurement souhaité des opinions si l'on avait parlé, ce qui aurait été conforme à la vérité, de nouvelle répartition des territoires entre les différentes cultures yougoslaves?
Même remarque pour les photos, elles aussi travesties. Quand un journal montre des cadavres en faisant ses gros titres sur les crimes commis au Kosovo, on condamne immédiatement, sans réfléchir. Alors qu'un examen approfondi de la photo montre que les morts sont en réalité des gens armés et en uniformes, que la légende écrite en petits caractères indiquent qu'elle a été prise deux mois plus tôt et montrait en fait des combattants de l'UCK tués lors d'un accrochage avec l'armée serbe. Ce qui change considérablement les choses...
- l'introduction de fausses nouvelles. Souvenez-vous de cette maternité koweitienne dont les Irakiens avaient prétendument débranché les couveuses. La nouvelle a fait le tour du monde, avant d'être démentie, longtemps plus tard et en petits caractères... Pendant la guerre de Bosnie entre 1992 et 1994, la diffusion de fausses nouvelles a proliféré: le prétendu viol des 50 000 femmes musulmanes, le prétendu massacre des malades de l'hôpital de Gorazde, les prétendus prisonniers affamés du camp d'Omarska ont fait la une des journaux télévisés, radiodiffusés et écrits, mais se sont tous révélés faux ou très inexacts.
- la montée en puissance de la communication par rapport à l'information. Toutes les sources d'information - gouvernements, administrations, entreprises, etc. - ont appris à communiquer. Elles emploient des spécialistes en relations publiques, attachés de presse et autres directeurs de l'information, qui sont passés maîtres dans l'art de communiquer les messages souhaités par leurs employeurs et noient l'information véritable dans un brouillard de paroles, d'images, de graphiques et autres communiqués sans importance. Démêler le vrai du faux, l'important du dérisoire devient de plus en plus difficile.
- et enfin, une dernière caractéristique qui n'est pas la moins importante: le fait que l'on évite de poser et de se poser les bonnes questions. Revenons à la guerre des Balkans et aux innombrables questions de fond que l'on trouve rarement posées dans le médias:
- après des mois consacrés à une affaire Monica Lewinski qui a gravement terni l'image du président américain, on aurait pu remarquer qu'une guerre tombait à pic pour faire oublier l'incident à l'opinion publique américaine; idem pour le président Chirac, menacé par une affaire de financement illégal de son parti; pour le chancelier Schröder qui devait renforcer son leadership après le départ d'Oskar Lafontaine: de Tony Blair qui devait masquer l'échec de sa politique en Irlande du Nord (un pays qui ressemble étrangement au Kosovo, soit dit en passant) et les scandales touchant plusieurs de ses ministres.
- la coïncidence entre la création de l'euro - monnaie européenne susceptible de menacer le dollar - et le bombardement de la Yougoslavie est-elle un pur hasard?
- pourquoi ne dit-on pas que la majorité des observateurs de l'OSCE au Kosovo était d'origine américaine ou anglo-saxonne, que son responsable était un Américain, que toutes les informations collectées étaient traitées par des Anglo-Américains, que ses rapports étaient systématiquement déformés au détriment des Serbes? Certains observateurs ont pourtant dénoncé l'absence d'objectivité de l'OSCE.
- pourquoi l'«épuration ethnique» menée par les Croates contre les Serbes de la Krajina est-elle systématiquement ignorée par les médias des pays de l'OTAN?
Que faut-il conclure? Certainement pas que Milosevic est un saint homme, ni que les Serbes sont des exemples de vertu. Tel n'est pas notre propos. Notre propos est de dénoncer la guerre sous toutes ses formes, y compris les plus subtiles et les plus pernicieuses. Sans cet effort de volonté, sans ce travail nécessaire d'analyse, la paix et le dialogue sont impossibles car ils sont faussés dès le départ.
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