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DOSSIERS- AFFAIRES JUDICIAIRES

FAITES ENTRER L'ACCUSE

DESINFORMATION JUDICIAIRE : LE CAS « FAITES ENTRER L ACCUSE » , par Frédéric Chataignier

Depuis son apparition sur la deuxième chaîne, Faites entrer l'accusé suscite bien des commentaires. Prenons pour exemple ces propos extraits du bloc-notes de Samuel Huet (ancien inspecteur honoraire de l'Education nationale, site : http://s.huet.free.fr/ ) daté du 20 novembre 2002 :

« Je ne sais si, comme moi, vous avez cet été suivi à la télé (A2) une série consacrée à des crimes (ou procès, ou assassins) célèbres. Pour ma part, j'en ai retiré une impression de net malaise. (…) le vrai problème, pour moi, a été la constatation qu'une fois de plus, et quasi systématiquement, on piétinait le travail des enquêteurs, et que l'instruction du journaliste était surtout à décharge. »
Sans être inintéressante, l'émission n'est effectivement pas à l'abri de tout reproche, notamment dans la présentation de certaines affaires criminelles célèbres.

Retour sur images…
17 juillet 2003 : dans le cadre de cette émission, France 2 diffuse un documentaire sur l'affaire Christian Ranucci- L'énigme du Pull-over rouge - du nom de ce jeune homme exécuté le 28 juillet 1976 pour l'assassinat le 3 juin 1974 de la petite Maria Dolorès Rambla.

Ce film, c'est d'abord un réquisitoire contre la peine de mort, avec des commentaires en voix off tel que « Christian Ranucci est à 771 jours de son exécution » et de nombreux gros plans sur une guillotine. Mais c'est surtout un vibrant plaidoyer en faveur du condamné. Dès les premières minutes, celui-ci nous est présenté comme la victime d'une erreur judiciaire, « condamné en deux jours dans une atmosphère de lynchage » (pour reprendre les termes de Christophe Hondelatte, présentateur de l'émission). Le documentaire fait la part belle au journaliste d'extrême gauche, Gilles Perrault, et à sa fameuse contre-enquête Le Pull-over rouge (Paris, Ramsay, 1978) ; M. Hondelatte et son équipe feignent d'ignorer que l'un des enquêteurs de l'époque, Mathieu Fratacci (aujourd'hui décédé) a publié un livre Qui a tué Christian Ranucci ? (Paris, Editions N° 1, 1994) confirmant la culpabilité du condamné. (1) Ce n'est pas le seul point qui est passé sous silence dans ce film- en voici d'autres :

-les requêtes en révision déposées par les avocats de la mère de Christian Ranucci, en janvier 1979, juin 1987 et novembre 1991 ont toutes été rejetées ;
-pour avoir accusé de « forfaiture » les cinq policiers marseillais chargés de l'enquête en 1974, dans l'émission Histoire d'une vie (diffusée le 27 juin 1985, à 20h30, sur FR3), Gilles Perrault a été condamné (ainsi que l'animateur de l'émission, Philippe Alfonsi) à verser 40 000 F à chacun d'entre eux- peine aggravée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en mai 1990 : 70 000 F (2)
-pas un mot non plus sur l'appartenance du jeune homme au réseau pédophile supervisé dans les années 1970 par Jacques Dugué, entraîneur de basket de la mairie communiste de Saint-Ouen. En effet, dans le carnet d'adresses appartenant à un de ses complices, un certain Sokolovski, se trouvaient le nom et l'adresse de Ranucci. Le dit carnet figure comme pièce à conviction dans le dossier du premier procès Dugué (scellé N° 117). (3)

Le film est également d'une discrétion de violette sur les conséquences de cette campagne en faveur de Ranucci : quelques jours après la sortie du livre de Gilles Perrault, le père de la petite victime, Pierre Rambla, a reçu des menaces téléphoniques telles que : « Salaud, tu as fait exécuter un innocent. Tu vas le payer. On va tuer tes autres enfants. Comme la mère de Ranucci a souffert, on va te faire souffrir ! » (4) ; la mère, elle, a tenté de se suicider aux barbituriques.

Faut-il s'étonner dès lors que L'Humanité du 17 juillet 2003 parle d' « impartialité » concernant l'émission ? Faites entrer l'accusé reprend quasiment la thèse communiste de l'affaire : Ranucci était une innocente victime d'une enquête tant orientée que bâclée, d'un lynchage judiciaire et fut ignominieusement exécuté pour satisfaire une opinion publique déchaînée. Manifestement, il n'y a pas que le pull-over qui est rouge…

Le 21 mars 2004 était rediffusé (première diffusion : 1 er août 2002)  Richard Roman, le procès d'un innocent , du nom de cet ancien ingénieur agronome acquitté le 17 décembre 1992 par la cour d'assises de l'Isère du viol et du meurtre de la petite Céline Jourdan, sept ans, perpétré le 26 juillet 1988 à La Motte du Caire (Alpes-de-Haute-Provence) tandis que son coaccusé l'ouvrier agricole Didier Gentil était condamné à la prison à vie avec une peine de sûreté de vingt-huit ans.
Sans contester, bien sûr, la décision des jurés de Grenoble, il est permis de s'interroger sur l'approche qui est faite de ce dossier sordide, en résumé : « l'Indien », un bon berger qui élevait des chèvres, dormait dans un tipi et marchait pieds nus injustement persécuté par la presse, les villageois de La Motte du Caire, les gendarmes - le brigadier Ramette, chef de la gendarmerie locale en tête- et le procureur Paul Weisbuch, finalement sauvé par un procès exemplaire.

Peu importe, visiblement, que l'intéressé ait déclaré au docteur Christian Jullier, chargé de l'examiner lors de la garde à vue : « Quand on a vu la fille nue, on a perdu la tête » ; pas un mot non plus des lettres reçues en prison par Didier Gentil- un débile mental particulièrement influençable- lui demandant d'innocenter son co-accusé, lettres émanant du « groupe de travail RR-DG » basé à Villeurbanne qui amèneront son défenseur Me Juramy à porter plainte pour subornation d'autrui ; (5) silence complet sur le pilonnage médiatique d'une certaine presse- des journalistes semblaient avoir acquitté l'accusé avant même que le jury n'entre en salle de délibération- et du comité de soutien à Richard Roman qui s'agitait aux abords mêmes du tribunal de Grenoble. (6)

En outre, le fait que le dit tribunal n'ait pas cité à la barre le docteur Robert Sebaoun, qui, en 1990, avait recueilli une confession de « l'Indien » à la prison des Baumettes (« J'ai participé à quelque chose d'horrible » lui aurait-il dit) n'intrigue nullement les enquêteurs de France 2 !

La sélection des témoins laisse également songeur : en dehors de la famille de Céline, on fait la part belle aux partisans de Roman ; mais pourquoi ne pas avoir donné la parole à Henri Juramy, d'ailleurs épinglé dans le film (il a porté plainte contre France 2 pour diffamation ; la chaîne a été relaxée tant en première instance qu'en appel) ou à Robert Daranc, journaliste auteur d'un maître livre sur l'affaire, Une justice sous hypnose médiatique L'affaire Céline (Mallemoisson, éditions de Haute Provence, 1995) – et que Christophe Hondelatte connaissait, les deux hommes ayant travaillé pour RTL? Peut-être est-ce parce qu'ils refusent le prêt à penser sur le dossier Céline Jourdan…

En résumé, là encore, France 2 a repris à son compte une véritable entreprise de manipulation des esprits. Devant ce type de programme, il y a lieu de se poser les plus graves questions : est-il concevable qu'un magazine TV puisse déformer la vérité à ce point, surtout sur des drames aussi atroces ?

Frédéric Chataignier

Lire également l'article du même auteur paru sur France-Soir

NOTES :

(1) Un livre intitulé L'affaire du pull-over rouge : Ranucci coupable ! écrit par un ancien commandant de police, Gérard Bouladou, est paru aux éditions France Europe en mars 2005.

(2) Propos tenus lors de l'émission : « Imaginez une enquête de police douteuse, une instruction bâclée et pleine de partis pris, un dérapage judiciaire qui sème le doute sur la culpabilité d'un homme » (Philippe Alfonsi) « Je ne me sens pas en situation d'accusateur. Je voudrais comprendre ce qui s'est passé et ce qu'en a fait la police marseillaise. Elle a commis quelque chose qui relève de la forfaiture. » (Gilles Perrault)

(3) Fait révélé par le journaliste Frédéric Brémont, collaborateur du Crapouillot qui a eu entre les mains le dossier Dugué- voir La politique, le sexe et la finance de Yann Moncomble, La Neuve-l'Yre, Faits et Documents, 1989, p. 203.

(4) Suite à l'arrestation de Jean Rambla le 12 février 2005 (le frère de Maria Dolorès, témoin de l'enlèvement de la fillette en 1974) pour le meurtre de son employeuse Corinne Beidl, sa famille a reçu des lettres anonymes du genre : « Vous êtes punis de votre obstination passée qui a fait tant de mal. N'est-ce pas l'heure de reconnaître et de demander pardon à Christian? » Henri Haget, « La malédiction des Rambla », L'Express , 7 mars 2005, p. 87.

(5) Extrait d'une lettre adressée à Didier Gentil : « Cher Didier, il faut en effet comme un miracle dans le cœur pour que se consolide en toi le désir de la vérité, quoi qu'il en coûte. Notamment lors du procès pour que tu te souviennes « vraiment » alors que tu étais comme fou, lors du drame, pour que tu aides Richard à être vrai. Nous te soutiendrons de tout cœur et de tous nos moyens si tu dis un jour, en pleine liberté d'esprit, que tu étais le seul acteur du drame ». Cité par Robert Daranc dans son livre, Une justice sous hypnose médiatique L'affaire Céline Mallemoisson, éditions de Haute Provence, 1995, p.72. Parmi les membres du groupe de travail : le frère d'un ancien professeur de Richard Roman et l'un de ses camarades de collège.

(6) Sur l'attitude de la presse, voir Désinformation Hebdo N°291 et N°292, 16 et 23 décembre 1992. Robert Daranc, qui a couvert le procès de Grenoble pour RTL, a révélé que le procureur général Michel Albarède a demandé aux journalistes intéressés par une interview de Roman à sa sortie de prison de s'inscrire sur une liste… et ce, quatre jours avant la fin des débats.

A quelques jours du procès, le comité de soutien animé par le frère de l'accusé, Joël Roman -directeur de la revue catholique de gauche Esprit - et son ancien aumônier, le père Gérard Bouvier, a organisé une conférence de presse, installé une permanence et distribué une brochure de 30 pages- Richard Roman : un innocent aux assises - parmi les arguments utilisés : un intellectuel tel que Roman (QI : 130) n'aurait pas pu tuer un enfant. C'est à peu près aussi subtil que les textes des maoïstes de La Cause du Peuple affirmant en 1972 que seul un bourgeois pouvait avoir commis le crime de Bruay-en-Artois. Problème : plusieurs jurés reconnaîtront avoir consulté la brochure avant même leur désignation.